Jeux vidéo : la fin de l’âge d’or ? Les vétérans de l’industrie alertent sur un tournant historique.

Publié le 14 août 2025 à 16:03

L’industrie du jeu vidéo traverse une zone de turbulences inédites. Loin de l’image d’un secteur « à l’épreuve de la récession », les analyses de Shawn Layden (ex-président de Sony Worldwide Studios), Mat Piscatella (Circana) et Piers Harding-Rolls (Ampere Analysis) dressent un portrait inquiétant d’un marché en pleine mutation, bousculé par la conjoncture économique et ses propres excès.

Les joueurs dépensent moins : 

Les données de Circana montrent que près d’un quart des joueurs américains prévoient de réduire leurs dépenses, principalement à cause de l’inflation (nourriture, logement) et de l’incertitude économique. Les intentions de réduction sont deux fois plus nombreuses que celles d’augmenter les achats. Résultat : le marché US pourrait reculer de 4,7 % en 2025, même si la volatilité est telle que les scénarios optimistes comme catastrophiques restent plausibles.

« Essentiellement, nous avons environ un quart des joueurs de jeux vidéo qui disent qu'ils prévoient de dépenser moins, en raison d'un certain nombre de facteurs », explique Piscatella.

Autrefois, en crise, les jeux remplaçaient d’autres loisirs plus coûteux. Mais l’offre actuelle de free-to-play et de services d’abonnement a changé la donne : beaucoup peuvent jouer sans dépenser un centime.

Du premium au free-to-play :

Le marché a mûri depuis son pic en 2021, gonflé artificiellement par la pandémie. L’audience est désormais ~10 % inférieure, et la dépense se concentre sur le mobile et le free-to-play, au détriment des consoles. Les mastodontes comme Fortnite, Roblox ou Call of Duty captent une part énorme de temps et d’argent, laissant moins de place aux nouvelles sorties. Résultat : le jeu moyen rapporte moins qu’avant, et l’effet « trou noir » des blockbusters rend la concurrence féroce.

Harding-Rolls rappelle toutefois que le free-to-play a permis d’élargir considérablement le marché : sans lui, les revenus ne représenteraient probablement qu’un quart des ~200 milliards actuels.

Le casse-tête des prix :

L’industrie premium se heurte à une contradiction : vouloir augmenter le prix des AAA (souvent à 80 $) tout en ayant habitué une génération à jouer gratuitement. Layden regrette que les prix n’aient pas suivi l’inflation au fil des générations : aujourd’hui, produire un titre à 200 M$ nécessite de vendre des millions d’exemplaires juste pour rentrer dans ses frais.

Pour compenser, les éditeurs misent sur les microtransactions, DLC, passes de combat et éditions deluxe à plus de 100 $. Les prix sont devenus très dynamiques, allant du low-cost à l’ultra-premium, selon le profil du public. Piscatella note que les joueurs plus âgés et aisés paient sans broncher, tandis que les autres attendent les promotions.

Innovation sous pression :

Avec des budgets colossaux et une tolérance au risque quasi nulle, l’innovation AAA se raréfie : les studios privilégient suites et clones de succès existants. Créer une nouvelle licence haut de gamme devient un pari risqué « sans filet ». L’avenir de la créativité pourrait venir de productions plus modestes, hors du segment premium.

Les abonnements, bombe à retardement ?

Layden reste sceptique sur le modèle du « Netflix du jeu vidéo » : comme la musique avec Spotify, il craint que le public n’associe le jeu à un produit quasi gratuit, ce qui fragilise les revenus à long terme. Contrairement aux musiciens, les studios n’ont pas de revenus annexes (tournées, merchandising) pour compenser.

Pour les AAA, proposer un jeu dès le lancement sur abonnement revient selon lui à affaiblir sa valeur et transformer les développeurs en « prestataires à l’heure » plutôt qu’en créateurs misant sur un succès. Les indépendants peuvent y trouver un intérêt en termes de visibilité, mais pour les gros budgets, le risque est élevé.


En résumé : L’industrie du jeu vidéo fait face à une triple crise : économique (baisse du pouvoir d’achat), structurelle (marché saturé, domination du free-to-play), et créative (budgets qui étouffent l’innovation). Les prochaines années pourraient voir un éclatement encore plus net entre blockbusters chers et jeux gratuits, avec un segment premium sous haute tension.

 

Source : https://www.gamesindustry.biz


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