
Dans un secteur vidéoludique en pleine mutation, les géants comme les studios indépendants cherchent à s’adapter à une industrie où les coûts explosent, les joueurs deviennent plus exigeants et les blockbusters d’hier refusent de quitter la scène.
Ces réflexions proviennent d’une interview donnée à GamesIndustry.biz, où Shawn Layden et d’autres observateurs partagent leur vision du futur.
D’un côté, l’accès anticipé – autrefois réservé aux indés – commence à séduire les plus gros éditeurs. L’idée : commercialiser un jeu plus tôt, récolter les retours de la communauté et réduire le risque colossal d’un lancement « tout ou rien » après cinq ans de développement et des centaines de millions investis. Cette approche pourrait même devenir la norme pour les titres AAA, permettant d’ajuster l’expérience avant le jour J.
Mais il ne s’agit pas seulement de comment on sort les jeux : la question est aussi quels jeux on crée. Pour Shawn Layden, le marché s’essouffle face à des productions trop semblables. Le salut pourrait venir d’un retour créatif aux sources : revisiter d’anciens genres, les moderniser, comme l’ont fait AstroBot ou Clair Obscur: Expedition 33. Et c’est surtout le segment AA, ces jeux à budget moyen mais ambitieux, qui pourrait devenir le laboratoire de l’innovation. Plus agiles, moins prisonniers des attentes financières colossales, ces studios peuvent prendre des risques que les géants AAA ne peuvent plus se permettre.
Layden en profite pour tacler l’obsession du photoréalisme : « On n’y arrivera jamais de toute façon. » Selon lui, mieux vaut miser sur des histoires fortes, des personnages marquants et des univers mémorables.
Paradoxalement, alors que la créativité pourrait repartir à la hausse dans le mid-tier, les grands studios se contractent. Les embauches massives de l’ère COVID – dopées par une croissance de 22 % des revenus en un an – se traduisent aujourd’hui par une vague de licenciements et l’annulation de projets viables, simplement parce que leur structure de coûts n’était plus tenable.
Et l’IA ? Layden reste prudent. Oui, elle peut accélérer certaines tâches, tout comme Excel a remplacé les calculatrices… mais il faut toujours un humain compétent pour interpréter le résultat. L’externalisation, elle, a beaucoup progressé : aujourd’hui, coordonner des équipes en Malaisie, à Taïwan ou ailleurs est bien plus fluide qu’il y a dix ans. Mais ni l’IA ni l’outsourcing ne feront, selon lui, baisser les coûts de manière significative.
Il imagine un modèle inspiré du cinéma : garder un noyau créatif réduit, puis embaucher des équipes externes seulement aux phases où elles sont nécessaires. Inutile de payer 200 personnes à temps plein si certaines disciplines restent inactives durant des mois.
Reste un obstacle de taille : comment lancer de nouveaux titres dans un marché où les plus grands succès refusent de vieillir ? Fortnite, Minecraft ou GTA V continuent de truster les tops de vente, parfois plus d’une décennie après leur sortie. Sortir GTA VI reviendra à affronter GTA V lui-même.
Pourtant, Layden demeure optimiste. Avec la montée en puissance des AA, une plus grande variété de propositions pourrait émerger. Moins de blockbusters formatés, plus de diversité. Et un futur du jeu vidéo qui, au lieu de craindre la stagnation, pourrait bien entrer dans une nouvelle renaissance créative.
Un cycle qui vacille
Alors que le marché du PC connaît un véritable regain de vitalité, l’avenir des consoles suscite de plus en plus de doutes. Shawn Layden s’interroge sur l’avenir du hardware et livré sa vision sans détour : oui, une nouvelle génération de consoles arrivera… mais rien ne garantit que tous les acteurs historiques suivront encore longtemps ce modèle.
En 2013, à l’époque de la PlayStation 4 et de la Xbox One, certains annonçaient déjà la fin des consoles de salon. Une décennie plus tard, ces prévisions se sont révélées fausses : la PS5 et la Xbox Series sont bien là. Mais aujourd’hui, les mêmes questions ressurgissent, alimentées par la domination croissante du PC et par un marché où le cloud gaming, les services par abonnement et le jeu multiplateforme redessinent les usages.
Layden reconnaît que la console en tant que produit n’est pas encore morte, mais il doute de la capacité de tous les constructeurs à maintenir ce modèle.
L’analogie la plus frappante faite par Layden concerne Microsoft et la Xbox, qu’il compare à Sega au temps de la Dreamcast. L’éditeur japonais avait fini par abandonner la fabrication de consoles pour se recentrer sur le développement de jeux, devenant un acteur logiciel pur.
Selon Layden, la stratégie actuelle de Xbox pourrait l’amener à une conclusion similaire :
« Je pense que Sega a compris qu'il valait mieux rester un éditeur de logiciels. Je pense que Microsoft se trouve à la même croisée des chemins. Et je ne pense pas que son offre matérielle soit suffisamment convaincante pour rattraper son retard. »
Le message est clair : si Sony devrait poursuivre sa route avec de nouvelles générations de PlayStation, l’avenir de la Xbox en tant que console physique est loin d’être assuré.
Vers une « console universelle » ?
Et si les consoles de salon abandonnaient leurs écosystèmes fermés pour adopter un format standardisé, à l’image du Blu-ray ou du disque compact ? Layden estime que la fragmentation du marché empêche encore une véritable démocratisation du jeu sur console. Aujourd’hui, chaque constructeur se bat sur son propre terrain avec des exclusivités, des écosystèmes verrouillés et des machines aux caractéristiques différentes. Résultat : le marché progresse, mais essentiellement en tirant plus d’argent des mêmes joueurs, sans réussir à élargir réellement le public.
Pour lui, il serait temps de penser différemment :
« Ne pourrait-on pas envisager le marché des consoles de jeux comme celui du Blu-ray, de la cassette, du disque compact ou de tout autre support où l'industrie a décidé de se faire concurrence sur le contenu, mais de standardiser le format ? »
Cette idée d’une plateforme matérielle commune, disponible sous licence pour différents fabricants, permettrait de réduire les coûts, d’augmenter la base de joueurs et de favoriser la concurrence sur le contenu plutôt que sur le matériel.
Layden souligne aussi un constat partagé par de nombreux joueurs : les écarts entre générations de consoles deviennent de plus en plus subtils.
« Franchement, je pense que nous avons atteint un palier technologique. Combien d'entre nous peuvent vraiment faire la différence entre 90 et 120 images par seconde ? »
Selon lui, l’obsession de la puissance brute et des performances extrêmes ne fait plus autant sens. Plutôt que d’investir toujours plus pour des améliorations imperceptibles pour le grand public, il serait plus pertinent de simplifier l’offre, réduire les coûts et impliquer davantage d’entreprises de hardware dans l’écosystème.
Cette approche, qui pourrait sembler utopique, s’inspire directement d’autres industries technologiques : les DVD, les CD ou encore les Blu-ray ont tous réussi à se standardiser, permettant à plusieurs constructeurs de proposer du matériel compatible, tout en laissant la bataille se jouer sur les contenus et services.
Appliqué au jeu vidéo, ce modèle pourrait transformer l’accès aux consoles, en éliminant les barrières matérielles et en ouvrant la voie à une nouvelle ère d’universalité.
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