Les 14 % qui façonnent l’industrie : comment une minorité de joueurs dicte le prix des jeux vidéo

Publié le 10 octobre 2025 à 13:23

Mat Piscatella, directeur principal de la société d’analyse Circana (anciennement NPD Group), vient de publier les résultats d’une enquête approfondie sur l’avenir du jeu vidéo pour le troisième trimestre 2025.
Ses conclusions, basées sur les habitudes d’achat des joueurs américains, offrent un coup de projecteur fascinant sur la structure économique du marché — et sur la façon dont une minorité très dépensière influence toute l’industrie.

 

Premier constat marquant : la grande majorité des joueurs achètent très peu de jeux vidéo chaque année.
D’après les données de Circana :

  • 18 % des joueurs achètent un nouveau jeu tous les six mois ;

  • 12 % en achètent environ un par an ;

  • Et 33 % achètent moins d’un jeu par an.

Cela signifie que 63 % des joueurs américains achètent deux jeux ou moins chaque année — un chiffre qui contraste fortement avec la perception qu’ont souvent les passionnés du milieu.

À l’inverse, une minorité d’irréductibles se démarque :

  • 22 % achètent un nouveau jeu tous les trois mois ;

  • 10 % en achètent chaque mois ;

  • Et 4 % en achètent plus d’un par mois.

Au total, 14 % des joueurs (ceux qui achètent un jeu ou plus chaque mois) forment le cœur économique de l’industrie — une élite d’acheteurs compulsifs qui, selon Piscatella, fait tourner la machine vidéoludique.

 

Dans son analyse, Mat Piscatella qualifie cette minorité de “joueurs hyper enthousiastes et insensibles aux prix”.
Ce sont eux qui soutiennent la croissance des ventes de jeux à plein tarif (60 ou 70 dollars), mais aussi la multiplication des éditions Deluxe, Collector ou Premium qui envahissent les rayons.

« Les joueurs hyper enthousiastes et insensibles aux prix font vraiment avancer les choses, en particulier dans l’espace des jeux non gratuits », explique-t-il.

Autrement dit, ces 14 % de joueurs dépensiers compensent la frilosité des 60 % qui achètent rarement des titres payants, préférant souvent le free-to-play, les abonnements Game Pass / PS Plus, ou les jeux en promotion.

 

Piscatella remarque que la plupart des gens qui s’expriment sur les réseaux — et qui suivent ses analyses — appartiennent eux-mêmes à cette catégorie de gros consommateurs.
Cela expliquerait pourquoi beaucoup ont une vision déformée du marché réel.

« Le simple fait de voir ce message vous place probablement dans la catégorie des hyper enthousiastes », précise-t-il.
« Les comportements de vous et de votre entourage immédiat ne correspondent probablement pas à ceux du grand public des joueurs. »

Ainsi, même si les discussions en ligne tournent souvent autour des jeux day one, des précommandes ou des éditions collector, la majorité silencieuse des joueurs reste beaucoup plus modérée dans ses achats.

 

Dans un autre billet lié à cette étude, Piscatella revient sur une question brûlante :
Pourquoi les prix des jeux augmentent-ils, et pourquoi les éditions Deluxe sont-elles de plus en plus fréquentes ?

Sa réponse est sans détour : parce qu’une minorité de joueurs fortunés est prête à payer.
Les éditeurs savent que ces consommateurs ne sont pas sensibles au prix et sont enclins à dépenser plus pour des expériences exclusives.

« Pourquoi y a-t-il des manettes premium, des éditions collector à 149 $, des consoles Pro et une hausse générale des prix ? Parce que ce sont les joueurs aisés et insensibles aux prix qui dépensent le plus. »

Cette logique de marché pousse les studios à segmenter leurs offres :

  • D’un côté, un public large attiré par le free-to-play ou les abonnements économiques ;

  • De l’autre, une niche rentable qui finance les développements AAA grâce à des versions Deluxe à 90 € et des cosmétiques premium.

 

Les données de Circana confirment ce que de nombreux analystes soupçonnaient : le marché vidéoludique est désormais polarisé entre deux extrêmes.

  • D’un côté, des millions de joueurs occasionnels, qui dépensent peu et se contentent de contenus gratuits.

  • De l’autre, une minorité de “super-consommateurs”, qui achètent compulsivement les nouveautés, les DLC, les consoles améliorées et les objets de collection.

Ce déséquilibre pousse les éditeurs à calibrer leurs stratégies autour de ces 14 %, quitte à laisser de côté les joueurs plus modestes.

Ainsi, les prix standard à 70 $ ou les bundles premium ne sont pas pensés pour tout le monde, mais pour ce noyau dur de consommateurs qui, selon Piscatella, “ne se posent pas la question du prix, mais seulement celle du plaisir”.

 

Cette tendance soulève une question de fond :
L’industrie du jeu vidéo peut-elle durablement reposer sur une base de 10 à 15 % de gros dépensiers ?

Certains experts craignent une fracture économique, où les studios miseraient uniquement sur les “whales” (comme dans le mobile), laissant les autres dépendre du free-to-play ou des jeux indépendants.
D’autres estiment au contraire que cette stratégie permet de maintenir la diversité du marché, en finançant des productions ambitieuses et des innovations techniques.

Quoi qu’il en soit, les chiffres de Circana révèlent une réalité souvent ignorée : le joueur moyen n’achète presque pas de jeux — et ce sont les passionnés, souvent minoritaires mais très dépensiers, qui font vivre financièrement toute l’industrie.


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