
La tension monte chez Build a Rocket Boy, le studio fondé par Leslie Benzies, ancien directeur de Grand Theft Auto chez Rockstar Games.
Près de 100 employés, anciens et actuels, ont signé une lettre ouverte explosive, publiée par le syndicat IWGB Game Workers, dénonçant ce qu’ils qualifient de “mauvais traitements de longue date” et d’un “profond manque de respect” envers le personnel.
Cette lettre, parue vendredi dernier, révèle une accumulation de pratiques managériales jugées abusives, des licenciements massifs après l’échec du jeu Mindseye, et un climat de travail délétère au sein du studio.
Le document, signé anonymement pour la plupart des signataires, vise directement la direction du studio, et plus particulièrement Leslie Benzies et Mark Gerhard, co-PDGs de Build a Rocket Boy.
Le point de rupture semble être survenu après le lancement catastrophique de Mindseye, premier projet ambitieux du studio.
Le jeu, très attendu comme un mélange entre narration AAA et monde virtuel expérimental, a été massacré par la critique et boudé par les joueurs.
Selon la lettre, ce fiasco serait la conséquence directe d’une direction coupée du terrain, refusant d’écouter ses équipes expérimentées :
« Vous avez refusé d’écouter les années d’expérience de vos employés, ce qui a donné lieu à l’un des pires lancements de jeux vidéo de cette décennie. »
Les conséquences ont été dramatiques : entre 250 et 300 employés auraient été licenciés dans la foulée, un chiffre colossal pour un studio encore jeune.
Ces licenciements massifs sont présentés par le syndicat comme le résultat d’une mauvaise gestion structurelle et d’un manque de vision claire.
La lettre dénonce un manque total de transparence et de communication interne.
Les équipes affirment avoir été tenues à l’écart des décisions importantes, et que des changements radicaux ont souvent été imposés sans concertation.
« Les informations ont été rares et vagues, et vous (les Benzies) avez souvent apporté des changements radicaux à nos méthodes de travail sans aucune participation des personnes concernées. »
Le document évoque également des semaines de travail forcé de plus de 48 heures, imposées dans les quatre mois précédant la sortie du jeu.
Chaque employé aurait été obligé de faire huit heures supplémentaires hebdomadaires, soit l’équivalent d’une journée complète non planifiée.
Si des “congés compensatoires” ont été promis, ils n’ont pas toujours pu être pris :
« De nombreux employés n’ont pas encore pu utiliser ce temps de congé en raison de demandes continues de travail supplémentaire “hautement prioritaire”, même après le lancement. »
Cette situation fait écho à un crunch institutionnalisé, une pratique de plus en plus décriée dans l’industrie, où la pression pour tenir des délais mène à l’épuisement professionnel et à la démotivation des équipes.
Au cœur de la révolte : la gestion des licenciements post-Mindseye, qualifiée de “désastreuse”.
Les employés dénoncent une confusion généralisée, des informations erronées et des délais de préavis illégaux.
Certains affirment avoir été mal catégorisés dans les mauvaises équipes, ce qui aurait conduit à des licenciements injustifiés.
« Les employés ont reçu des informations erronées, notamment en étant regroupés dans les mauvaises équipes internes, et ont reçu des délais de préavis inadéquats. »
Le syndicat IWGB affirme que ces pratiques pourraient constituer des licenciements abusifs au regard du droit du travail britannique.
Cette gestion brutale aurait profondément affecté le moral et la confiance des équipes restantes, désormais en pleine incertitude quant à leur avenir.
Les signataires ne se contentent pas de dénoncer : ils formulent une liste précise de demandes adressées à Leslie Benzies et à Mark Gerhard.
Parmi elles :
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Des excuses publiques pour les mauvais traitements subis.
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Une indemnisation équitable pour les employés licenciés.
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La reconnaissance officielle de l’IWGB comme syndicat représentatif au sein du studio.
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L’engagement de faire appel à des partenaires externes lors de futurs licenciements, pour garantir une procédure équitable.
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Le droit, pour les salariés en préavis, de travailler jusqu’à la fin de leur contrat ou de percevoir une indemnité compensatrice de préavis.
La lettre se conclut sur une note amère, interpellant directement la direction :
« Vous qualifiez souvent vos employés de "famille". Mais nous vous demandons de réfléchir : est-ce vraiment ainsi que vous traitez les vôtres ? »
Une phrase lourde de sens, qui met en lumière l’hypocrisie supposée du discours managérial de Build a Rocket Boy, souvent présenté comme un studio “humain et innovant”.
L’affaire est d’autant plus marquante que Leslie Benzies est une figure emblématique du jeu vidéo.
Ancien producteur et architecte de Grand Theft Auto V, il avait quitté Rockstar Games dans des conditions houleuses en 2016, après un conflit judiciaire de plusieurs millions de dollars avec Take-Two Interactive.
Son retour avec Build a Rocket Boy avait suscité beaucoup d’espoir : celui d’un studio indépendant, dirigé par un créateur visionnaire voulant “changer la manière dont on conçoit les jeux vidéo”.
Mais pour beaucoup d’employés, la réalité s’est avérée tout autre.
Entre promesses non tenues, direction autoritaire et épuisement collectif, Mindseye incarne aujourd’hui le revers du rêve de Benzies.
Le contraste est saisissant entre les ambitions initiales du projet — “créer des mondes vivants et connectés” — et la crise interne que traverse désormais le studio.
La publication de cette lettre intervient dans un contexte global de crise sociale dans l’industrie du jeu vidéo.
Depuis début 2024, plus de 20 000 employés ont été licenciés à travers le monde, et les témoignages dénonçant des conditions de travail toxiques se multiplient.
Des studios majeurs comme Epic Games, Bungie, BioWare ou Ubisoft ont également été confrontés à des accusations similaires de management abusif ou de crunch forcé.
Build a Rocket Boy rejoint désormais la liste des entreprises épinglées, illustrant à quel point le fossé entre discours “passionné” et pratiques internes peut être abyssal.
Pour l’instant, aucune réponse officielle n’a été publiée par la direction de Build a Rocket Boy.
Les observateurs estiment que le studio devra agir rapidement pour restaurer sa crédibilité — notamment s’il souhaite poursuivre le développement de ses futurs projets, comme la plateforme multivers Everywhere.
Mais la question demeure : comment regagner la confiance d’une équipe profondément blessée ?
Sans une reconnaissance claire des erreurs commises et une refonte de sa culture interne, le studio risque de voir son image durablement ternie, malgré le prestige du nom de Benzies.
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