
L’annonce, fin septembre, du rachat d’Electronic Arts (EA) — l’un des plus grands éditeurs de jeux vidéo au monde — a fait l’effet d’une bombe dans l’industrie du divertissement numérique. Ce n’est pas seulement la taille de la transaction qui interpelle, mais surtout l’identité de ses acheteurs.
Un consortium mené par le Fonds public d’investissement saoudien (PIF), épaulé par Silver Lake et Affinity Partners (le fonds fondé par Jared Kushner, le gendre de Donald Trump), a conclu un accord pour acquérir EA dans une transaction estimée à plus de 10 milliards de dollars au-dessus de sa valeur marchande.
Mais à Washington, l’affaire ne passe pas inaperçue. Deux figures politiques majeures du Parti démocrate, Elizabeth Warren et Richard Blumenthal, ont adressé une lettre officielle au secrétaire au Trésor américain, Scott Bessent, pour exprimer leurs “profondes inquiétudes” face à cette opération qu’ils jugent à haut risque pour la sécurité nationale.
Le rachat d’Electronic Arts par un consortium incluant le Fonds public d’investissement saoudien soulève de vives questions sur l’influence étrangère dans le secteur technologique et du divertissement américain.
Le PIF, dirigé par le prince héritier Mohammed ben Salmane, n’est pas un fonds neutre : il constitue un outil stratégique de la politique saoudienne, servant à renforcer la présence du royaume dans des domaines clés comme le sport, la culture et désormais le jeu vidéo.
L’offre d’achat, jugée « excessivement généreuse » par les observateurs — 10 milliards de dollars au-dessus de la valeur réelle d’EA, dont l’action est jugée “stable mais stagnante” depuis plusieurs années — alimente les soupçons de Washington : l’objectif ne serait pas purement économique, mais aussi politique.
Dans leur lettre adressée au Trésor, les sénateurs Warren et Blumenthal alertent sur plusieurs points cruciaux :
« Nous écrivons avec une profonde inquiétude quant à l'influence étrangère et aux risques pour la sécurité nationale posés par l'acquisition potentielle d'Electronic Arts par le Fonds d'investissement public d'Arabie saoudite, Silver Lake et Affinity Partners de Jared Kushner. »
Les parlementaires craignent que le contrôle d’un éditeur américain aussi important que EA, connu pour des franchises comme FIFA, Battlefield ou The Sims, offre à l’Arabie saoudite un accès stratégique à des millions de données d’utilisateurs, potentiellement exploitables à des fins d’influence ou de surveillance.
Ils soulignent également que cette acquisition, si elle est menée à terme, pourrait “annihiler la transparence” des opérations d’EA, en raison de la nature semi-étatique du PIF et de son opacité financière.
L’un des points les plus sensibles évoqués dans la lettre concerne la confidentialité des données. Electronic Arts, via ses plateformes en ligne (EA Play, Origin, etc.), collecte depuis des années des informations sur des dizaines de millions de joueurs américains et internationaux.
Cette base de données, combinant comportements d’achat, interactions sociales, habitudes de jeu et données biométriques dans certains cas (comme la reconnaissance faciale ou vocale), constitue un trésor d’informations numériques.
Le fait qu’un fonds étranger — directement lié à un gouvernement autoritaire — puisse contrôler un tel volume de données soulève des questions majeures de cybersécurité et de souveraineté numérique.
Les sénateurs ont officiellement demandé au CFIUS (Committee on Foreign Investment in the United States), l’organisme fédéral chargé d’examiner les acquisitions étrangères, de mener une enquête approfondie sur la transaction.
Leur requête est claire :
« Nous vous exhortons, ainsi que le Comité, à examiner attentivement ce projet de privatisation étrangère sans précédent d’une importante société américaine de technologie et de divertissement. »
Ils demandent au CFIUS de rendre ses conclusions avant le 4 novembre 2025, une échéance qui pourrait marquer un tournant dans la manière dont les États-Unis régulent l’entrée de capitaux étrangers dans leurs entreprises technologiques.
Ce n’est pas la première fois que l’acquisition d’un géant du jeu vidéo déclenche une tempête politique et juridique.
Le rachat d’Activision Blizzard King par Microsoft, finalisé en 2023 après de longs mois de batailles réglementaires, avait déjà montré à quel point les autorités américaines étaient prêtes à freiner les consolidations jugées trop puissantes ou risquées.
Mais cette fois-ci, la dimension étrangère du rachat d’EA change la donne. Il ne s’agit pas seulement de concurrence économique, mais de sécurité nationale et d’influence internationale.
Pour Riyad, ce rachat s’inscrit dans une stratégie plus large : devenir un acteur central du divertissement mondial.
Après avoir investi massivement dans SNK, Nintendo, Take-Two et Activision Blizzard, l’acquisition d’Electronic Arts représenterait un bond spectaculaire dans le soft power saoudien.
Mais à Washington, les signaux d’alarme se multiplient. Les parlementaires voient dans cette opération un outil d’influence déguisé, visant à redorer l’image du royaume et à renforcer son réseau économique et politique à l’Ouest — notamment via des figures proches de Donald Trump comme Jared Kushner.
À quelques mois des élections américaines de 2026, cette affaire prend une tournure hautement politique.
Entre enjeux économiques colossaux, questions de sécurité nationale et tensions diplomatiques avec Riyad, le rachat d’Electronic Arts risque d’être l’un des feuilletons les plus scrutés de l’année 2025.
Si le CFIUS devait bloquer l’accord, cela enverrait un signal fort à tous les investisseurs étrangers tentés par les grandes entreprises technologiques américaines.
Dans le cas contraire, une nouvelle ère pourrait s’ouvrir, où les frontières entre divertissement, politique et stratégie géopolitique deviendraient plus floues que jamais.
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