Un document récemment déposé auprès de Companies House par la filiale britannique d’Ubisoft a mis en lumière une vision étonnamment sombre — et parfois alarmiste — de l’évolution du marché du jeu vidéo.
Au-delà d’un simple rapport administratif, ce texte livre une analyse profonde, presque confessionnelle, des bouleversements qui redéfinissent le paysage de l’industrie. À mesure que les habitudes des joueurs changent et que les modèles économiques s’adaptent, Ubisoft affirme que le secteur traverse un véritable changement de paradigme, qui remet en question la viabilité des nouveaux jeux individuels, c’est-à-dire des titres vendus comme des œuvres uniques et complètes.
Le constat est clair : Ubisoft n’est pas satisfait de la direction que prend l’industrie, et le studio considère que les mutations actuelles menacent directement le modèle de création et de distribution qui a longtemps dominé le jeu vidéo.
Pendant des décennies, le schéma économique central de l’industrie reposait sur un format simple :
un jeu, un achat, un prix fixe entre 50 et 60 £.
Ce modèle traditionnel, qui a façonné l’ère des jeux physiques puis numériques, recule aujourd’hui face à une multitude d’alternatives, souvent plus attractives pour le consommateur moyen :
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Services d’abonnement multi-jeux (Game Pass, Ubisoft+…)
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Jeux en tant que service (GaaS), pensés pour durer des années
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Jeux free-to-play
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Accès streaming dans le cloud
Ubisoft souligne que ces modèles offrent aux joueurs plus de contenu pour moins cher, ce qui fragilise mécaniquement la vente de jeux premium individuels. Le problème ne réside pas seulement dans la concurrence accrue, mais dans le fait que ces nouvelles options modifient profondément la perception du prix et de la valeur d’un jeu.
Un autre point clé du rapport concerne les comportements des joueurs eux-mêmes. Ubisoft observe une tendance de plus en plus nette :
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Les joueurs testent moins de jeux différents
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Ils passent davantage de temps sur chaque titre
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Ils gravitent autour d’expériences plus durables ou évolutives
Ce phénomène est fortement lié à la montée des jeux-service, des free-to-play, ou des univers massifs susceptibles de retenir l’attention pendant des mois, voire des années.
Pour les nouveaux jeux, cela implique une difficulté croissante à se frayer une place dans le quotidien des joueurs. Le marché ne manque pas de joueurs — il manque de disponibilité mentale et de temps libre.
Autre problème majeur soulevé : la volatilité du marché.
Là où les studios pouvaient autrefois prévoir, avec une certaine précision, les ventes potentielles d’une nouvelle licence ou d’un épisode important, la réalité actuelle est beaucoup moins stable.
Selon Ubisoft :
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Le succès d’un nouveau jeu est de plus en plus incertain
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Même les titres bien notés peuvent échouer
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Les “exceptions notables” sont rares, souvent inattendues
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Chaque jeu représente désormais davantage un pari qu’un investissement calculé
Autrement dit : lancer un nouveau jeu premium devient à la fois risqué, imprévisible, et potentiellement moins rentable qu’auparavant.
Pourquoi Ubisoft s’inquiète-t-il autant ?
Ce rapport illustre un malaise profond : Ubisoft est une entreprise historiquement bâtie sur un modèle de production de jeux premium réguliers — Assassin’s Creed, Far Cry, Watch Dogs, etc.
Ce document marque donc une forme de lucidité brutale :
le modèle historique sur lequel Ubisoft a bâti son succès est en train de disparaître, et l’avenir semble incertain.
Une chose est sûre : l’industrie ne sera plus jamais celle qu’elle était il y a dix ans.
Le marché exige moins de jeux, mais plus durables — un système qui favorise les géants déjà établis dans le GaaS et complique l’émergence de nouveautés.
Ubisoft, par ce dépôt officiel, sonne comme un avertissement : le changement n’est pas seulement en marche… il est déjà là.
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