IA et jeux vidéo : entre peurs, éthique et pragmatisme — la vision nuancée de Shams Jorjani (Arrowhead)

Publié le 19 novembre 2025 à 15:58

Le débat autour de l’intelligence artificielle générative ne cesse de diviser l’industrie du jeu vidéo. Entre inquiétudes profondes, envolées technophobes et visions futuristes presque triomphalistes, il reste peu de place pour la nuance. C’est justement cette nuance que Shams Jorjani, PDG d’Arrowhead, a voulu remettre au centre de la conversation dans une interview accordée à The Game Business. Questionné sur la polémique liée à l’utilisation de voix générées par IA dans ARC Raiders, il a livré une réflexion dense, pragmatique, mais surtout profondément humaine sur ce que devrait être la place de l’IA dans la création vidéoludique.

 

Dès le départ, Jorjani rappelle que le sujet est « extrêmement sensible ». Pour lui, la discussion autour de l’IA se polarise trop rapidement : soit on célèbre une automatisation massivement bénéfique, comme les dirigeants de Square Enix évoquant un futur où 77 % du QA pourrait être pris en charge par l’IA ; soit on tombe dans l’autre extrême, où les développeurs craignent littéralement pour leur survie professionnelle et voient dans toute IA une menace directe. Cette vision binaire, selon lui, empêche d’avoir une conversation productive.

Il insiste alors sur un point crucial : la technologie n’est pas nouvelle. Les développeurs utilisent depuis des années des intergiciels – comme Simplygon – pour automatiser des tâches autrefois réalisées à la main. Cette forme d’automatisation n’a jamais provoqué de scandales. Dans les faits, beaucoup de ces outils pourraient déjà être qualifiés « d’IA », même avant que le mot devienne un sujet brûlant sur X ou Reddit. Pourtant, nous ne parlions pas de vol de travail, ni de risques existentiels pour les métiers du jeu.

Là où la sensibilité explose aujourd’hui, c’est lorsque l’automatisation touche la créativité, et notamment la voix. Dans ARC Raiders, les acteurs humains enregistrent des lignes réelles, mais ces lignes sont ensuite utilisées pour générer (légitimement) des versions IA capables de fournir des dialogues supplémentaires pour de futures mises à jour. Pour Jorjani, c’est un cas d’usage intéressant, justement parce qu’il renforce l’expérience de jeu sans supprimer l’humain du processus. Il adore l’idée que l’on puisse créer davantage de contenu cohérent sans devoir systématiquement retourner en studio.

 

Il reconnaît toutefois un impératif moral absolu : le respect des droits, le consentement et la rémunération. Pour lui, toute avancée technologique doit être accompagnée d’un cadre clair, transparent et juste. Mais une fois ces garde-fous posés, il juge important de ne pas sombrer dans le rejet complet par peur ou méfiance.

Il évoque même son propre rapport à la voix : étant suédois et peu à l’aise à l’idée de parler avec son accent, l’IA pourrait lui permettre – ou permettre à d’autres – de participer plus facilement. Il y voit une forme d’inclusivité inattendue, qui permet à davantage de personnes de s’exprimer — littéralement.

La nuance essentielle, selon Jorjani, est la différence entre une IA qui remplace la créativité et une IA qui améliore l’efficacité. Transcrire une réunion ? Aucun souci. Rédiger un scénario automatiquement ? Là, la discussion devient beaucoup plus délicate. Or cette distinction se perd trop souvent dans le bruit du débat public, où l’on préfère adopter une position idéologique plutôt que d’analyser les usages concrets.

Il conclut avec humour : chez Arrowhead, ils n’intègrent pas d’IA dans les jeux eux-mêmes, mais s’ils peuvent l’utiliser pour trier leurs reçus plus rapidement, alors c’est « plus de Helldivers pour tout le monde ». En d’autres termes : l’IA doit libérer du temps pour créer plus et mieux, pas pour remplacer la passion.

 

Au final, le message de Jorjani est clair :

Il existe un juste milieu, un espace où l’IA n’est ni voleuse d’emplois ni solution miracle, mais un outil puissant qui, bien utilisé, peut améliorer la création.. Encore faut-il accepter de sortir des extrêmes et de discuter du sujet avec maturité, transparence et respect des personnes concernées.

C’est peut-être là que se joue l’avenir de l’IA dans le jeu vidéo : dans la capacité collective à dépasser la peur et le fantasme pour construire quelque chose d’utile, d’éthique et réellement créatif.


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